Dans le cadre de la feuille de route pour la transition énergétique, adoptée par le gouvernement lors de la Conférence environnementale en septembre 2012, il a été demandé au CGEDD et au CGIET d’étudier les perspectives de développement des énergies marines renouvelables (EMR) les plus matures et des filières industrielles correspondantes : énergie hydrolienne, éolien offshore flottant (fixé non concerné car déjà opérationnel), énergie houlomotrice et marémotrice, énergie thermique des mers, climatisation par eau de mer (SWAC) et énergie osmotique.
Etat des lieux établi et complété par Cap21-Lorraine à partir du rapport originel et de son résumé.
Les espaces maritimes sous souveraineté française (11 millions de km2, soit le deuxième espace maritime au monde) recèlent un fort potentiel d’énergie marine renouvelable (EMR) et la France dispose d'acteurs scientifiques et industriels de premier rang dans le domaine énergétique et maritime. C’est donc un "trésor national" selon D. Batho. Cette richesse justifie d’être exploitée, avec deux enjeux principaux : environnemental grâce à une source d’énergie verte renouvelable, industriel avec l’opportunité de développer une nouvelle filière compétitive.
1) Les technologies actuellement identifiées
- Energie marémotrice : exploitation des différences de niveau entre haute et basse mer. L’exemple le plus caractéristique est celui du barrage sur l’estuaire de la Rance (0,5 MWh), jamais reproduit en raison d’une mauvaise acceptabilité environnementale, mais dont le modèle pourrait être fractionné en sous-unités plus discrètes.
- Energie hydrolienne : exploitation, au moyen de turbines habituellement fixées au fond de l’océan, des courants sous-marins qui peuvent être très puissants et sont prévisibles. Elle utilise des installations totalement immergées, donc sans impact visuel. La France dispose, dans la Manche, de sites exceptionnels pouvant produire 6 TWh exploitables.
- Energie éolienne off-shore : exploitation des vents marins, analogue à l’éolien terrestre mais bénéficiant de vents plus puissants et plus réguliers, et moins pénalisante pour le plan visuel. Elle peut être « fixée » au sol (pylône, en cas de profondeur < 35-50 m) ou « flottante » (plate-forme flottante arrimée au fond, si la profondeur est plus importante), alors située plus loin des côtes (10-50 km). Dès maintenant existent d’importantes fermes off-shore fixées, particulièrement dans la Manche et la Mer du Nord qui bénéficient d’une faible profondeur et de vents fréquents et importants.
- Energie houlomotrice : exploitation de l’énergie des vagues. Elle utilise des poids oscillants qui animent des pompes hydrauliques, sur une plate-forme flottante. C’est une énergie extrêmement abondante, mais aucune technologie ne s’est encore cependant imposée parmi 140 pistes en cours de recherches.
- Energie thermique des mers : exploitation du gradient thermique entre eaux profonde (5° à – 1000m) et surface (25°) par un système d’évaporation/condensation animant une turbine située sur une plate-forme. Une variante n’exploite que l’eau froide profonde acheminée à la côte par un tuyau et mise en circulation dans un climatiseur (SWAC). Ces méthodes sont indiquées dans les mers chaudes et, particulièrement, à proximité des îles de nos DOM-TOM.
- Energie osmotique : exploitation du gradient osmotique produit par la différence de salinité entre eau de mer et eau douce et qui tend à déplacer la seconde vers la première.
La plupart des méthodes ont pour caractéristique d’animer une turbine productrice d’électricité, conduite à la côte par des câbles sous-marins « ensouillés » dans une tranchée ; et sont intermittentes, mais souvent prévisibles dans la durée. On estime qu’elles peuvent fonctionner à plein régime entre 3000 et 8000 h/an (8760 h).
2) Etats d’avancement des projets
- Il ressort des auditions et études conduites par la mission que l’énergie hydrolienne est proche d’un développement industriel, ce qui justifie le lancement rapide et bien préparé d’un appel à projets pour l’installation de fermes-pilotes expérimentales dans les zones côtières les plus propices (raz Blanchard, raz Barfleur en Basse Normandie, passage du Fromveur en Bretagne).
- L’éolien offshore fixé a déja démarré, le flottant fait l’objet de technologies prometteuses pour les eaux côtières profondes (au-delà de 40 m) en cours de test (Bretagne et Provence-Alpes-Côte d’Azur), justifiant l’installation de fermes expérimentales d’ici 2 ans.
- L’énergie marémotrice, malgré un fort potentiel énergétique, se heurte à des difficultés d’intégration dans l’environnement (fermeture d’estuaires) ne permettant pas de projets réalistes en France.
- L’énergie houlomotrice est en développement avec une floraison de technologies concurrentes.
- Pour les zones tropicales, il apparaît que l’énergie thermique des mers, plus particulièrement son application SWAC pour la climatisation, entre dans une phase d’expérimentation et de lancement de premières réalisations opérationnelles, justifiant un soutien public.
- En revanche, l’énergie osmotique n'est pas encore mature et nécessite une nouvelle phase de R et D.
Les EMR sont bien adaptées aux régions d’outre-mer et aux zones non interconnectées pour y promouvoir l’autonomie énergétique.
3) Les questions environnementales
Toutes les méthodes posent, peu ou prou, les mêmes problèmes d’intégration à leur environnement :
- Perturbation de la pêche professionnelle et de l’aquaculture,
- Perturbation des navigations commerciale, de plaisance ou militaire,
- Perturbation des réseaux sous-marins de télécommunication,
... et d’interaction avec le milieu naturel :
- Perturbation des migrations ou reproduction des poissons et mammifères marins,
- Collisions avec les oiseaux, poissons ou mammifères marins,
- Dégradation de la biodiversité locale,
- Dégradation des paysages littoraux…
Interrogée sur les perspectives de développement des EMR, France Nature Environnement a émis un avis favorable sous réserve de sélectionner les lieux d’implantation, de réaliser des études d’impact et de progresser dans la connaissances des milieux marins. Elle souhaite également une gouvernance intégrant les associations de protection de l’environnement.
4) Le contexte international
La mission a réalisé une revue internationale aussi complète que possible, confirmant à l’échelle mondiale l’importance du potentiel économique et industriel des EMR, et précisant les modalités financières et juridiques des soutiens publics apportés à cette nouvelle filière. Ces comparaisons internationales montrent qu’une forte concurrence se développe actuellement entre toutes les technologies étudiées, avec des coopérations industrielles et des financements considérables de fermes pré-commerciales (notamment hydroliennes) qui seront déployées à court terme. Cette concurrence se traduira inévitablement dans les toutes prochaines années par l’émergence et la sélection des technologies les plus efficaces techniquement (du point de vue de la robustesse et de la fiabilité) et économiquement (pour parvenir à un coût de production de l’électricité acceptable).
5) La situation au niveau national
Les contacts et échanges avec les collectivités locales (notamment les régions disposant d’une façade maritime) et avec les associations de protection de l’environnement témoignent dans l’ensemble d’une bonne acceptabilité sociale des EMR, apparaissant comme une diversification et une décarbonisation du mix énergétique national et régional, de nature à créer localement de nouveaux emplois industriels. La concertation avec les autres usagers de la mer est largement engagée et ne pose pas de difficultés particulières pour les phases d’expérimentation, sous réserve de la résolution des conflits d'usage et de garanties concernant la préservation des espaces et animaux marins.
L’exploitation commerciale de ces EMR suppose néanmoins une planification des espaces maritimes disponibles (zonages respectant les divers usages de la mer), animée et coordonnée par l’État dans un cadre devenu européen, afin de garantir la préservation des richesses environnementales côtières (biodiversité, littoral et milieu marin) et de proposer les mesures compensatoires éventuellement nécessaires. Cette planification est également nécessaire pour maximiser l’exploitation du potentiel énergétique disponible et pour optimiser les raccordements au réseau terrestre de transport d’électricité.
Les principaux projets sont les suivants :
- Normandie : important potentiel éolien flottant et hydrolien. Conflit avec les pêcheurs et les navires commerciaux. Au large de la Hague, présence d’une zone Natura 2000.
- Bretagne : potentiel flottant, hydrolien et houlomoteur. Acceptation par les pêcheurs du site hydrolien de Fromveur si le câble est ensouillé (coquilles St-Jacques). Discussions en cours sur la localisation exacte de nouveaux parcs éoliens.
- Pays de Loire : potentiel houlomoteur et flottant avec un projet au Croisic, sous réserve de préserver la zone de pêche.
- Aquitaine : potentiel hydrolien fluvial (Bordeaux) soumis à de fortes contraintes. Potentiel flottant au large de Biscarosse, et houlomoteur très étendu mais confronté à des impacts sur les mammifères marins, à la présence d’un parc Natura 2000, et aux nécessités des pêcheurs.
- Littoral méditerranéen : fort potentiel éolien flottant à Fos, confronté à l’opposition des pêcheurs, et en Languedoc-Roussillon confronté aux élus pour des raisons liées au tourisme.
Le cadre juridique applicable actuellement en France a également été étudié (domanialité, réglementations environnementales et énergétiques); la mission a constaté que les projets EMR sont soumis à un ensemble complexe de règles juridiques, source probable de retards sinon de contentieux. Ce cadre législatif et réglementaire mériterait donc d’être simplifié, tout en conservant un niveau élevé de protection de l’environnement. La mission propose de regrouper, et de paralléliser, les différentes procédures applicables au sein d’un cadre réglementaire adapté et rénové, et d’organiser un «guichet unique» pour les porteurs de projets. Elle propose donc de créer, dans le Code de l’Energie, un régime juridique spécifique aux EMR, susceptible d’aider à un essor rapides des énergies marines.
Plusieurs groupes industriels français, et de nombreuses PME spécialisées indépendantes ou sous-traitantes, sont en mesure techniquement et économiquement de prendre position dans cette filière des EMR et de conquérir progressivement des parts de ce marché international concurrentiel. Ces acteurs attendent que l’État affiche sa stratégie afin de préparer leur calendrier de développement et de sécuriser le financement des projets de déploiement des EMR. Il convient aussi de renforcer l’organisation et la structuration de la filière industrielle française, en favorisant les recherches collaboratives et la mutualisation des études technico-économiques, avec la participation active de France Énergies Marines et de l’IFREMER. Il apparaît en effet nécessaire de mieux organiser la coopération entre les acteurs français du secteur EMR, et de fédérer les efforts de tous afin de constituer une filière particulièrement compétitive à l’échelle européenne et internationale. Enfin, compte tenu de la dimension internationale des marchés des technologies EMR, des coopérations techniques avec d’autres pays européens maritimes seront utiles pour accélérer la démonstration et l’expérimentation de ces nouvelles technologies EMR.
Afin de parvenir aux objectifs nationaux de diversification des énergies renouvelables, la mission propose un plan d’action et un échéancier prévisionnel adaptés à la maturité des différentes technologies, s’appuyant sur les appels à manifestation d’intérêt de l’ADEME assortis d’un tarif d’achat adapté, sur les appels d’offres de la CRE et sur une anticipation indispensable des besoins d’extension du réseau électrique RTE. Les diverses modalités du soutien public à l’essor des EMR sont analysées dans ce rapport.
L’ensemble complet des recommandations faites par la mission figure en tête du rapport.
Au total
La mission considère que les EMR constituent un enjeu stratégique pour la France.
Les défis sont technologiques, financiers et administratifs ; et le temps est une contrainte essentielle.
L’enjeu est l’essor d’une nouvelle filière industrielle des énergies marines profitant d’atouts importants :
- un gisement national exceptionnel,
- des acteurs industriels leaders mondiaux,
- des infrastructures portuaires et électriques solides.
Pour atteindre cet objectif, la mission fait des recommandations :
- Créer un Comité national d’orientation des énergies marines,
- Mettre en place un guichet unique, interlocuteur pour les porteurs de projet,
- Mutualiser les ressources scientifiques concernant les études d’impact,
- Harmoniser la démarche du zonage,
- Mettre en place une concertation entre les ports français.
Synthèse Cap21-Lorraine