Lobbies contre lobbies
C’est un dossier qui voit s’opposer l’industrie du tabac, les fabricants de tabac, l’industrie pharmaceutique et les défenseurs de la santé. C’est un dossier qui a vu aussi tomber un Commissaire européen et qui va d’ajournement en ajournement. C’est comme ça qu’une présidence comme la Lituanie pourrait voir partir le dossier pour la présidence grecque, état qui se révèle producteur (et plus gros consommateur européen) et pro tabac et dont Philip Morris vient d’installer son nouveau centre logistique dans le pays. Le même Philip Morris qui fiche les députés et a recruté 161 personnes pour le lobbying sur cette législation et 1,4 million sur 6 mois pour rencontrer les députés européens.
Santé publique
L’Europe accuse un cruel retard en matière de lutte contre le tabac, avec 28 % des adultes qui fument contre 17 % en Australie, 19 % aux USA et 15 % au Brésil. Si la législation est importante, elle est assez inefficace car les sanctions sont extrêmement faibles. Ainsi les sanctions financières auxquelles s’exposent les fabricants aux Etats Unis, dans le cadre des class action, ont conduit les fabricants à faire plus attention à leur marketing et communication.
Selon le Comité national contre le tabagisme « Même en prenant en compte les taxes (13 milliards d’euros), qui en tant que telles ne créent aucune richesse mais sont de simples prélèvements, ainsi que les retraites non versées du fait de la mort prématurée des personnes (environ 5 milliards), le coût net du tabagisme en 2005 représentait en France plus de 47 milliards d’euros, soit 3 % du PIB. » Pourtant ces chiffres continuent à être niés.
Etiquetage et Marketing
La commission ENVI du Parlement européen a voté pour l’interdiction des cigarettes fines (de 3.7% de part de marché en 2006 à 6% 2012) et les cigarettes aromatisées (de 3,4% de part de marché en 2000 à 5% en 2012) qui sont les nouveaux leviers marketing des producteurs et qui permettent de toucher des nouveaux consommateurs.
La Bulgarie, la Roumanie, la République Tchèque et la Pologne font une opposition ferme à cette proposition arguant que cela nuit aux producteurs de tabac de leur pays. Elles pourraient être rejointes par l’Italie (le plus gros producteur européen), l’Espagne et la Grèce naturellement!!! La même alliance se fait contre l’étiquetage des messages sanitaires. Si la Commission européenne et la commission ENVI du Parlement européen (leader sur le sujet) sont d’accords sur un étiquetage à 75% pour les messages sanitaires, le Conseil, lui, s’est arrêté à 65% et de nombreux amendements au Parlement européen proposeront un retour à 50% voire 65%. Pourtant les messages sanitaires ont fait la preuve de leur efficacité.
Cigarette électronique
Je suis convaincue que la cigarette électronique peut être une aide précieuse à tous les gros fumeurs. Idéalement, la cigarette électronique aurait dû faire l’objet d’un texte réglementant son usage. Mais les points de vue diamétralement opposés entre les membres du Conseil n’auraient pas permis de fixer un cadre rapidement dans un marché en très forte croissance. Le délai de mise en place aurait conduit à légiférer trop tardivement alors que le marché aurait déjà été trop fortement implanté.
La commission ENVI a voté cet amendement le 10 juillet pour couvrir le développement de la cigarette électronique «(33) Des produits contenant de la nicotine – y compris des cigarettes électroniques – sont commercialisés sur le marché de l'Union européenne. Néanmoins, les États membres ont adopté différentes stratégies réglementaires pour le traitement des problèmes de santé et de sécurité que soulèvent ces produits. Il est nécessaire d'harmoniser les règles, et tous les produits contenant de la nicotine devraient être soumis à une réglementation relative aux médicaments qui tienne compte de l'usage bien établi de la nicotine. Compte tenu du potentiel de ce type de produits pour aider au sevrage tabagique, les États membres devraient veiller à ce qu'ils soient proposés à la vente en dehors des pharmacies.»
En choisissant de classer la cigarette électronique sous le joug de la directive médicament, les parlementaires de la commission ENVI ont estimé qu’il devait y avoir une évaluation des produits mis sur le marché afin de protéger les consommateurs. La directive précise par ailleurs que ces produits devraient être distribués hors du réseau pharmaceutique. Le Parlement a intégré la possibilité de la vente libre et a renvoyé aux États membres de définir les modalités. Contrairement aux arguments développés par le lobby des cigarettes électroniques, les cadres médicament / paramédical / dispositifs médicaux peuvent être très souples et fournir les outils juridiques pour contrôler un marché où les marges sont très importantes. Ces cadres ne conduisent pas de facto à une vente en pharmacie.
La cigarette électronique ne peut être uniquement placée sous le régime commun de la responsabilité des producteurs et cela en regard des risques à long terme qui sont totalement inconnus. Les produits contenus dans la cigarette électronique et leur mode de consommation ne bénéficient d'aucun recul. Par ailleurs de nombreux produits envahissent le marché et les offres pour des recharges à 0,65$ fleurissent sur Internet sans que le législateur ne puisse avoir le moindre contrôle sur le marché. Il s’agit de protéger les consommateurs et un marché naissant de scandales à venir.
Une alternative soutenue par les buralistes, demande un placement dans le cadre tabac de la cigarette électronique. Cette alternative pose de nombreuses questions sur la qualité des produits, sur les réseaux de distribution (fermeture de toutes les boutiques sans carotte) et la fiscalité applicable aux cigarettes électroniques. Ce cadre juridique pose aussi clairement la problématique de la responsabilité juridique sur d’éventuels risques sanitaires. En présentant un produit comme étant « moins nocif » cela limite le recours juridique des consommateurs.
Ce dossier voit une opposition spécifique entre les lobbies du tabac, les buralistes, les distributeurs et fabricants de cigarettes électroniques (mobilisant les vapoteurs), l’industrie pharmaceutique (ne souhaitant pas d’alternative aux substituts nicotiniques) et les défenseurs de la santé. A noter que l’UKIP parti siégeant au sein du groupe EFD a déclaré avoir reçu sur la même période une donation de £25,000 de la part d’un fabricant de cigarettes électroniques sans cacher le fait qu’il lutte contre une législation encadrant la cigarette électronique.
Corinne Lepage