En vingt ans, une " chrono-localisation " très personnalisée, gratuite et permanente a succédé à une géolocalisation ponctuelle et onéreuse : la balise GPS installée sur un véhicule. Car avec un banal téléphone mobile professionnel, elle est aujourd'hui automatique, très précise, et surtout ces " portables " ne nous quittent jamais : comme le montre la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) dans sa très troublante étude de décembre 2014 (www.cnil.fr), nous avons tous " un GPS dans notre poche ". Cette faculté de filature électronique pose donc de graves questions de respect de la vie privée.
Mais, comme toute technologie, la géolocalisation n'est pas bonne ou mauvaise en soi. Elle vise moins à pister un collaborateur qu'à optimiser les tournées d'un commercial, ou rendre plus rapides les interventions d'un service d'urgence ; et s'agissant par exemple d'itinérants, le suivi patronal ne peut s'arrêter aux portes de l'entreprise. Enfin, la géolocalisation est parfois réclamée par le salarié lui-même : pour des raisons de sécurité (routiers dans des pays peu sûrs), ou le cas échéant pour servir de preuve en cas de procès (exemple : il n'est pas l'auteur de l'accrochage, car il était à 35 km).
Comme tout instrument de contrôle, la géolocalisation doit faire l'objet d'une consultation préalable du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) puis du comité d'entreprise, et être déclarée à la CNIL. La raison officielle de la géolocalisation lie ensuite l'employeur : s'il n'a évoqué que l'optimisation des trajets, il lui sera impossible d'en faire une utilisation disciplinaire (CS, 3 novembre 2011). Enfin, le collaborateur visé sera prévenu individuellement et pourra avoir accès à ses données (pas son conjoint…).
Sur le fond, une géolocalisation n'est licite que si elle est " justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché " (L. 1121-1) : un chrono-traçage permanent et en temps réel est donc très rarement licite (transport de fonds). S'agissant du contrôle de la durée du travail, " la géolocalisation n'est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen " ; et elle " n'est pas justifiée lorsque le salarié dispose d'une liberté dans l'organisation de son travail " (CS, 17 décembre 2014) : c'est le cas par exemple d'un cadre en forfait jours.
Juges et CNIL veillent enfin à ce que le salarié qui n'est plus au travail puisse suspendre toute géolocalisation, et a fortiori les représentants du personnel en délégation : " Seule une désactivation complète du dispositif, de façon simple et immédiate, par un moyen numérique ou un autre, est de nature à préserver le libre exercice de leur mandat représentatif. " (Cour de Bordeaux, 27 novembre 2012.)
L'Internet des objets n'en étant qu'à ses débuts, la géolocalisation professionnelle n'a pas fini de faire parler d'elle.
Texte extrait d'un article du journal Le Monde.